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Le monument « Den Kameraden » (Krieger-Denkmal)


Le Monument Den Kameraden. Détail carte postale ancienne, éditeur inconnu

En août 1914, peu de temps après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, des combats font rage dans la région de Charleroi. Les troupes françaises et allemandes s’y affrontent pendant trois jours, du 21 au 23 août. Le 22 août, Charleroi est en feu. Les troupes impériales allemandes sortent glorieuses de l’affrontement, aujourd’hui désigné sous le nom de « Bataille de Charleroi ». Le 23 août 1914 le bourgmestre de Charleroi Emile Devreux appose sa signature au bas du « Traité de Couillet », évitant de la sorte la destruction de Charleroi : les troupes allemandes se tiennent prêtes à bombarder la ville si les autorités carolorégiennes ne se plient pas aux conditions du Traité. Les exigences imposées par les allemands vont peser sur la population, désormais sous tutelle administrative allemande.

Victorieuses, les allemands édifient quelques mois plus tard sur les hauteurs de Couillet, dominant la vallée et faisant  face à la gare de Couillet-Montignies et aux usines Solvay, un monument en pierre de 200 tonnes, symbole de la difficulté qu'ils éprouvèrent pour passer la Sambre. Le lieu choisi se situe à proximité immédiate du domaine de Parentville où fut signé le Traité de Couillet. Les allemands souhaitent de la sorte immortaliser leur victoire dans la région et célébrer le passage de la Sambre en août 1914.

La presse relate la construction du monument, dont l'utilité semble méconnue : « Les Allemands se livrent actuellement à Couillet, à un travail singulier qui intrigue fortement la population de cette localité. A 500 mètres environs de la gare, sur la côte du bois surplombant la ligne de chemin de fer Charleroi-Namur, et dominant tous les environs de Charleroi, ils ont édifié une butte de 50 mètres de hauteur. Et sur cette butte, une tour d’environ 10 mètres de diamètre. Cette tour est fait fans un massif de béton de deux mètres de haut, puis vient un rebord d’un mètre de haut, ensuite un nouveau massif de 4 à 5 mètres et d’une hauteur de deux mètres.

Pour édifier cet ouvrage, ils ont requis des ouvriers de la région, qui ne comprennent rien à ce travail. Les soldats allemands prétendent que c’est un monument élevé à la mémoire du prince de Saxe, tué non loin de là, en août 1914.

Il semble, en réalité, s’agir là d’un travail de défense. Les habitants de Couillet supposent que cette tour servira de plateforme pour un 420, lors d’une retraire ; la position choisie étant des meilleurs au point de vue stratégique » (in Le Vingtième Siècle du 11/09/1915).

Le « Krieger-Denkmal » (Monument aux morts) est officiellement inauguré le 22 août 1915 ; de hautes autorités militaires allemandes prennent part à la cérémonie. C'est un jeune architecte de Hanovre, De Jonge, qui conçoit les plans du monument1. Edifié à la mémoire des allemands tombés au combat, aucune sépulture ne se trouve cependant à proximité du monument. Avec le temps, le « Krieger-Denkmal » est également désigné par une simple mention gravée sur l’une de ses faces : « Den Kameraden » (« Aux Camarades »). Au sein de la population et dans la presse d’après-guerre, le site est identifié par des appellations moins solennelles : « monument boche », « bloc teuton »,… Ce monument est très mal vu par les carolorégiens, véritable insulte à la mémoire des patriotes belges disparus.

Le monument Den Kameraden. Extrait de la revue Die Woche, 25 novembre 1916 (n°48)

Le monument s’élève sur le versant est de la vallée de la Sambre, face à Montignies-sur-Sambre ; de part sa position, impossible pour les véhicules qui empruntent la chaussée reliant Charleroi à Châtelet et les usagers de la voie ferrée en contre-bas d’ignorer l’édifice. « Den Kameraden » s’intègre dans le paysage et devient un point de repère, symbole pour les uns de victoire, et pour les autres, d’oppression. Le monument marque les esprits ; René Magritte l’aperçoit à chaque fois qu’il se rend de Châtelet à Charleroi. En 1950, le peintre l’intègre dans son tableau « L'Empire des lumières II », aujourd’hui conservé au MoMA de New-York ; la silhouette sombre du monument trône en arrière-plan, dans l’ombre, surplombant des habitations.

Au lendemain de la guerre, la destruction de l’édifice est envisagée ; des particuliers prennent l’initiative de faire tomber le colosse, mais leurs tentatives s’avèrent vaines. Afin de prévenir d’éventuels accidents lors de ces tentatives menées par des particuliers, les autorités couilletoises décident la destruction du monument :

« Le Collège, vu l’état d’esprit de la population, hostile à tout ce qui lui rappelle la domination boche, après avoir constaté les dégâts occasionnés par l’explosion des cartouches, au monument élevé par les Allemands et remarqué que des trous de mine existaient encore, d’où l’on doit supposer que la tentative de faire sauter le monument se renouvellera, ce qui pourrait occasionner de graves accidents, et n’étant pas à même, vu l’endroit isolé où se trouve le monument, d’assurer une surveillance efficace. A l’unanimité, a décidé la démolition de la colonne érigée par les Allemands et portant l’inscription DEN KAMARADEN (sic) »2.

Le Monument en 2014, dans les bois

Très symboliquement, deux années après l’armistice, le 11 novembre 1920 à 11 heures3, le monument est dynamité en présence de personnalités régionales, notamment du bourgmestre de Couillet Edmond Deschamps, du bourgmestre de Charleroi Emile Devreux, et du directeur des usines Solvay de Couillet, Ferdinand Bouriez ; ce sont les établissements Solvay qui fournissent les 10 kilos de dynamite et le matériel nécessaire à la destruction. La presse assiste à l'explosion depuis le terril du Boubier voisin.

Les journaux régionaux et nationaux relatent l’évènement ; quelques quotidiens étrangers y font également référence : on peut lire dans « Le Figaro » du 13 novembre 1920 « A l’occasion de l'anniversaire de l'armistice, l'administration communale de Charleroi a fait sauter à la dynamite le monument allemand élevé au [sic]  Couillet, pour commémorer la bataille de Charleroi, et qui avait déjà été l'objet d'une tentative de destruction ». La presse allemande, elle, critique la destruction.

Les ruines sont laissées sur place ; au fil des ans, la végétation reprend ses droits et envahit le site. Les vestiges finissent par disparaître sous les arbres, et le monument tombe dans l’oubli. Très peu de documents témoignent de l’existence éphémère de ce Monument aux Morts allemands, tombés au combat dans la région de Charleroi. Il n’existe plus aujourd’hui que quelques écrits, cartes postales et photographies.

Le Centenaire de 14-18 permet de se souvenir de l’existence éphémère de ce monument situé aujourd’hui sur un terrain privé. Des visites sont occasionnellement organisées par la Maison du Tourisme de Charleroi. Pour plus d’informations : www.paysdecharleroi.be.

NOTES : 

(1) - Gazette De Charleroi (La), 12/11/1920

(2) - Journal de Charleroi (Le), 30/09/1920

(3) - Journal de Charleroi (Le), 12/11/1920


POUR Y ACCEDER

Le Krieger-Denkmal Den Kameraden
Attention, propriété privée !
Rue de la Sibérie
6200 Châtelet (Bouffioux)

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