Histoire(s) & patrimoine de Charleroi |
Le Boulevard Tirou tel qu'il se présente aujourd'hui n'a pas toujours présenté cet aspect de grande artère légèrement incurvée, traversant la Ville-Basse d'ouest en est. Il y a un siècle encore coulaient sur le tracé du boulevard les eaux capricieuses de la Sambre.
Charleroi, 1680. Bibliothèque nationale de France / gallica.bnf.fr |
Bien avant la construction de la forteresse de Charleroy en 1666, le petit hameau de Charnoy, se dressait sur la rive gauche de la Sambre, au pied d’un éperon rocheux. La majeure partie du village était bâti près de l'embouchure du Piéton dans la Sambre (près de l’actuelle Chapelle Saint-Fiacre), un peu en recul du cours d’eau pour en éviter les inondations. Un gué permettait la traversée de la rivière ; le long de la Sambre s’étendaient des prairies marécageuses où la rivière s’épanchait en cas de crues de ses affluents ou durant les fortes pluies.
Dès 1660, les autorités des Pays-Bas décidèrent d'établir une nouvelle forteresse sur la Sambre, entre Mons à Namur, afin de sécuriser la frontière des Pays-Bas espagnols avec la France. Plusieurs positions intéressantes sont remarquées, mais c'est finalement le village de Charnoy qui est sélectionné pour sa position stratégique. Le village est partiellement détruit en 1666 pour faire place à la forteresse dessinée par l’architecte Van Es. Charles-Roy vient de naître.
La forteresse espagnole n’est pas encore achevée que les français s’en emparent en 1667. Vauban est alors chargé de la reconstruire et de la renforcer, mais il n'est pas encore alors question de création d’une Ville-Basse.
La décision de peupler la rive droite de la Sambre n'apparaît qu'un peu plus tard. L'extension sud de la forteresse répond au besoin de protéger le nouveau pont qui est jeté sur la Sambre en 1675, facilitant la circulation des troupes venant du sud. Ces nouveaux quartiers vont apporter des habitants à Charleroi, jusqu'alors principalement occupée par des militaires, et donner naissance à une véritable ville. Ce qui reste du village de Charnoy est biffé à jamais de la carte. La Ville-Basse est créée au pied de la colline sur la rive droite de la rivière en 1675 ; la Sambre traverse désormais la forteresse. Un peu plus au sud, une zone inondée vient renforcer la défense de la cité. Les zones situées à proximité de la rivière, de l'Entre-Ville et de la Ville Basse se bâtissent et se peuplent petit-à-petit, de part et d'autre des deux rives de la Sambre, qui devient l'axe structurant de la Ville-Basse.
Quelques maisons anciennes du Boulevard, situées précédemment sur le Quai de Sambre |
En imaginant la Sambre couler sur le tracé du Boulevard Tirou, il est facile de se rendre compte du rôle stratégique que jouait la forteresse. Perchée au sommet d'une colline, située à environ 400 mètres seulement des eaux de la rivière, la forteresse voit sa position renforcée grâce à cette barrière naturelle qu'est la Sambre, à laquelle vient s'ajouter la forte dénivellation qui sépare le centre de la forteresse (actuelle Place Charles II) et la Ville-Basse. En témoigne l'importante déclivité de la Rue de la Montagne, tracée aujourd'hui en forme de « L » en son bas afin d'offrir une pente plus douce lors de son ascension.
La configuration en elle-même de la Ville-Basse n'a pas fortement changé au fil du temps. Les rues qui avoisinent l'actuel Boulevard Tirou comptent parmi les plus anciennes de la Ville-Basse. Autrefois, toutes ces rues s'articulaient autour de deux éléments centraux : la place de la Ville-Basse, et la Sambre. Le comblement de la rivière et la création du boulevard ne transformèrent pas réellement la topographie de la Ville-Basse. Le nouveau boulevard modifia cependant profondément l'âme et le visage du quartier.
Moteur économique de la Ville-Basse, la Sambre, bien que capricieuse, permettait le transport de marchandises à certaines périodes de l’année : de mars à mai et de septembre à novembre, il était généralement possible d’y circuler. Durant les mois d’été par contre, la sécheresse faisait baisser le niveau de l’eau empêchant toute circulation ; les mois pluvieux rendaient la circulation trop périlleuse. La rivière fournissait également l’eau et l’énergie nécessaires à certaines exploitations. Des ateliers de tisserands, des moulins, différentes manufactures, des brasseries,… s'établirent de chaque côté de la rivière. Mais si l’on y prenait l’eau nécessaire pour la vie au quotidien, la Sambre permettait également d’évacuer bon nombre de déchets hors de la ville…
L'une des premières tentatives de régulation de la Sambre remonte à la fin du XVIIième siècle : Jacques Delenne et Albert Michaux, propriétaires d'un moulin à Charleroi, obtiennent l'autorisation de construire un barrage en bois pour actionner leur moulin.
Plan de Charleroi Ville-Basse dans les années 30. Le centre de la Ville-Basse est bordé par la Sambre et le canal de dérivation de la rivière |
Le temps passant, la Sambre est de plus en plus sollicitée pour le transport des marchandises de la région. Les charbonnages sont en plein essor, et de nombreuses régions nécessitent d'être approvisionnées en houille. Projet déjà relativement ancien, les travaux pour relier la Sambre à Bruxelles sont entamés au début du XIXième siècle : le Canal de Charleroi à Bruxelles est inauguré en 1832. Mais le cœur de Charleroi reste un obstacle à la circulation des péniches. Une dérivation de la Sambre à Charleroi est alors réalisée, consistant en un canal contournant la Ville-Basse par le sud (la Sambre actuelle, devant la Gare de Charleroi-Sud). Même s'il faut attendre 1832 pour que la Sambre canalisée soit considérée comme achevée, elle est ouverte à la circulation des bateaux dès 1829. Ceux-ci utiliseront désormais le nouveau bras de Sambre, qui ne traverse plus les fortifications, mais les contourne. Le lit naturel de la Sambre est délaissé au profit de sa version canalisée.
Avec l'inauguration de ce canal, la Ville-Basse devient une « île » qui s'étend des actuels Pont de la Villette à celui de Philippeville. La veille Sambre, du côté est du Pont de Sambre (rue du Pont de Sambre), offre un charme romantique. Les frondaisons des jardins rejoignent les eaux de la rivière ; les quais appellent à la promenade, en débouchant des actuelles rues Navez et Ferrer. Y flâner est agréable, et des joutes nautiques y sont organisées. Côté ouest du pont, le spectacle est beaucoup moins idyllique. Les bâtiments sont plus anciens et les façades arrières grises donnent directement sur la rivière ; les quartiers sont plus pauvres, et on y retrouve certains établissements peu recommandables de la ville. Le seul nom d’un quartier laisse imaginer la salubrité de certaines rues : le quartier du « Sale debout » se situait à l’entrée de la place de la Digue, en venant de la rue de Dampremy. Il sera rasé dans les années 1930 pour permettre l’agrandissement de la place de la Digue.
La Sambre lors d'une crue en 1926. Bibliothèque nationale de France / gallica.bnf.fr |
Malgré le canal de dérivation et les écluses, l'ancienne Sambre continue de régulièrement sortir de son lit en cas de fortes averses. Les crues de la Sambre à Charleroi ne durent généralement que peu de temps ; elles surprennent cependant par leur importance et leur rapidité. En 1819, la crue est telle que l'eau pénètre dans les maisons par les fenêtres et certains habitants sont obligés de se réfugier aux étages. En 1850, des grandes inondations frappent toute la région : plusieurs ponts de chemin de fer surplombant la Sambre eurent leurs arches ou piles enlevées par les eaux.
Le jeudi 15 août 1850, de fortes pluies s’abattaient sur la région. « (…) Après la première averse, la Place-Verte fut inondée, ainsi que quatre rues, et l’église se trouva dans une île. Une infiltration s’étant déclarée dans la digue de la Sambre canalisée, l’ouverture ne tarda pas à s’élargir. A sept heures du soir, cette digue céda, vis-à-vis de la station du chemin de fer ; l’ancienne et la nouvelle Sambre, que cette digue tenait séparées, se réunirent dans une étreinte furieuse. En ce moment, la Sambre, en amont et en aval de Charleroi, avait l’aspect d’un bras de mer ; elle dépassait le tablier du pont de cinquante centimètres, et la basse ville était ensevelie sous les ondes jusqu’à une hauteur de cinq mètres. La station du chemin de fer, entièrement investie, fut bientôt inondée dans les parties basses, et les voyageurs d’un train du soir destiné pour Namur, mais qui avait dû rebrousser chemin, eurent à subir d’étranges péripéties. Les communications avec la ville étant interrompues, ces voyageurs étaient restés dans les voitures. Mais l’eau n’ayant cessé de monter, les ouvriers de la station prirent les passagers un à un sur leur dos et les portèrent dans le bâtiment de la station, d’où ils furent seulement retirés vendredi matin par trois bateliers qui sauvèrent également plusieurs familles réfugiées dans les greniers des maisons isolées » (TORFS, L., Fastes des calamites publiques survenues dans les Pays-Bas et particulièrement en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours : Epidémies, famines, inondations, 1859, p. 349.).
Le Pont de Sambre et les magasins de l'Innovation. Détail carte postale ancienne, Edition Desaix |
Vers la moitié du XIXième siècle, Charleroi, et principalement la Ville-Basse, devient une ville commerçante. De grandes enseignes (« Au Pont de Sambre », « Le Bon Marché », « La Vierge Noire », l' « Innovation »,…) s' installent dans le bas de la rue de la Montagne et sur la Place Verte. En parallèle, la ville est libérée de ses remparts, ce qui permet une importante augmentation du nombre d'habitants. La Sambre est sollicitée pour l'évacuation des égouts, aggravant le problème de salubrité. Les désagréments causés par la montée des eaux chez les particuliers et les pertes de stock chez les commerçants deviennent trop importants. Durant l'hiver 1925-26, l'eau monte considérablement, jusqu'à atteindre les marches de l'église Saint-Antoine de Padoue, pourtant située à une centaine de mètres de la rivière. Ce fut la dernière grande inondation de la Sambre à la Ville-Basse.
En 1928, sous l'impulsion du bourgmestre Joseph Tirou, la Ville décide une série de grands travaux devant changer le visage de la Cité et résoudre certains problèmes de salubrité. Il est notamment décidé de combler le bras gauche de la Sambre, soit son lit naturel, pour ne conserver que sa section canalisée. L’ancienne Sambre est appelée à devenir un boulevard. Les travaux débutent rapidement, dès 1930, mais sont interrompus par la Seconde guerre mondiale. Au lendemain de celle-ci, les travaux reprennent. Le projet d'urbanisation fut confié aux architectes Joseph André et Marcel Leborgne.
Le nouveau boulevard ; à droite les anciens Moulins de la Sambre (Garage du Moulin) |
Le 11 octobre 1948, le nouveau boulevard est inauguré par Oscar Behogne, ministre des Travaux publics. La nouvelle artère est dédiée au bourgmestre Tirou ; fait exceptionnel, le nom du bourgmestre est donné à l’artère du vivant de celui-ci.
Boulevard moderne, l’artère se borde rapidement de hauts immeubles à appartements, comme il n’en existe pas encore ailleurs en ville, restant cependant toujours en dessous des dix étages. Le boulevard Tirou offre le visage d’un Charleroi moderne et dynamique.
En 1952 les vieilles maisons dont l’arrière donne sur le boulevard et l’avant sur la Place Verte sont rasées pour faire place aux « Colonnades » de Joseph André. Inaugurées le 25 octobre 1953, elles deviennent une entrée monumentale vers le haut de la ville et accueillent des commerces généralement de qualité. Elles disparaissent néanmoins en 2015 pour permettre la réalisation du projet commercial Rive Gauche.
Si la Sambre ne coule plus aujourd'hui dans le centre de Charleroi selon son tracé naturel, différents éléments rappellent au quotidien sa présence comme axe autour duquel la Ville-Basse s'est développée.
De nombreuses rues et lieux avoisinants font ainsi encore référence à la rivière :
Les origines du moulin dont il est question remontent à quelques années après la fondation de Charleroi. Situé sur la rive droite, son premier propriétaire fut Pierre Bady. En 1687, Jacques Delenne et Albert Michaux acquièrent le moulin ; ils l'agrandissent et construisent une écluse sur la Sambre pour permettre son fonctionnement. La famille Desandrouins en sera propriétaire dès 1739. En 1900, le moulin subit un important incendie. Reconstruit, il cesse cependant ses activités après la première guerre mondiale. En 1925, le moulin fait place à un garage automobile. Reconstruit après la création du boulevard, le parking prend le nom de Garage du Moulin.
Cette rue débouchait sur un pont qui franchissait la Sambre dès 1675. Il reliait la Place Verte à la rive gauche de la Sambre. Rebâti à plusieurs reprises, plus aucune trace physique ne témoigne de l’existence de ce pont.
Le Pont Neuf. Détail carte postale ancienne, Edition V.P.F. |
Cette artère, aujourd'hui devenue l'un des axes d'entrée principaux de la ville, menait comme son nom l'indique au Pont Neuf, construit en 1830. Il fut détruit un siècle plus tard, en 1939.
Il n’est pas directement question ici de la Sambre, mais de ses affluents : le Piéton et du Ri du Sart. Ces deux ruisseaux, qui se jetaient quelques dizaines de mètres plus loin dans la Sambre, près de la Chapelle Saint-Fiacre, furent utilisés par Vauban afin de créer un étang artificiel de protection des fortifications, au sud-ouest de la forteresse. Les remparts étaient contigus à l'étang, formant une digue.
L'écluse dont il est question fut bâtie en 1829 sur le tronçon canalisé de la Sambre. Elle se situait sous l’actuel Pont de la Résistance.
Servant aujourd'hui principalement de raccordement au petit ring de Charleroi, cette rue menait vers les rivages des charbonnages, à proximité de l’actuelle place des Tramways. Les « rivages » consistaient en des quais de chargement pour les sociétés minières avoisinantes (Société Anonyme des Charbonnages Mambourg, Sacré Madame et Poirier réunis et Société Anonyme des Houillères Unies du Bassin de Charleroi).
D'un point de vue architectural, certaines traces de la rivière restent également visibles.
Il épouse exactement le tracé naturel de la Sambre, légèrement incurvé, traversant la Ville-Basse d'ouest en est. Chacune de ses extrémités (Place des Tramways / Pont de Philippeville) communiquait avec la Sambre canalisée.
La configuration de cet ancien quai reste visible : il s'agit de la rue parallèle au boulevard Tirou, partant de la place Verte et longeant légèrement en contrebas le boulevard, jusqu’à la rue Navez. Quelques maisons de cette rangée comptent parmi les plus anciennes de la Ville.
Le niveau des inondations du 31 décembre 1925 |
Ses origines remontent à la forteresse. La chapelle dépendait de l'hôpital militaire, situé en bordure de Sambre. Un peu plus loin se trouvait la « Sambre cocotte » (au croisement de la rue Dagnelies et du boulevard Tirou), où les chevaux venaient boire et les enfants patauger dans les eaux de la Sambre. Le Piéton, rivière couverte dans sa dernière section, se jetait à cet emplacement dans la Sambre, jusqu'au comblement de cette dernière.
Durant l'hiver 1925-26, l'eau monta considérablement. Le 31 décembre 1925, les eaux atteignent les marches de l'église Saint-Antoine de Padoue, située à une centaine de mètres de la rivière. Un repère fut gravé à côté de l'église, témoin de la crue.
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