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Les deux Zoé Drion


Deux cousines éloignées

Au début du XIXième siècle, deux cousines éloignées, Zoé Louise Drion et Zoé Pauline Drion, voient le jour en 1813 et 1826 dans la région de Charleroi. L’une d’elle eut l’honneur d’avoir un boulevard baptisé de son nom dans le centre-ville.

La famille Drion, originaire de l'ancienne Principauté de Liège, est implantée depuis longtemps déjà dans la région de Charleroi et y occupe une certaine position. François Drion fut bourgmestre de Gilly en 1683, et bailli-maïeur de Charleroi entre 1700 et 1704 ; Jacques-Joseph Drion fut bourgmestre de Lodelinsart,… Au XVIIIième siècle, les Drion ont des intérêts notamment dans la clouterie et dans les charbonnages ; on les retrouve sociétaires ou parçonniers à Sacré-Madame à Dampremy, au Grand Conty à Gosselies, à la Mère des Veines et au Grand-Vivier à Gilly,….

Il faut remonter à André Drion et Marie-Adrienne Thibault pour retrouver des ancêtres communs aux deux Zoé.

André (Adrien) Drion fut l’un des plus grands industriels de son époque. Né à Lodelinsart en 1723, fils du bourgmestre de Lodelinsart Jacques Drion, il épouse en 1749 Marie-Adrienne Thibault, fille de Nicolas Thibault, bailli de Montigny-le-Tilleul et maître-cloutier. De ce mariage sont nés 9 enfants, dont Ferdinand, père de Zoé Louise, et Pierre, grand-père de Zoé Pauline. André Drion fit la prospérité de l’industrie cloutière dans la région durant la dernière moitié du XVIIIième siècle. Installé au Château de Lodelinsart, il acquiert en 1786 le Château de Bonne-Espérance à Montignies-sur-Sambre, où il décède en 1800.

Zoé Louise Drion (1813 - 1888), épouse Louis Troye

Zoé Louise Drion est né à Gosselies le 29 juillet 1813. Elle est la fille de Ferdinand Drion et de Marie-Catherine Brion.

Orpheline de mère à l’âge de deux ans, son père la place avec sa sœur Irénée en 1823 au Couvent de Jumet « à une lieue de chez elles » afin de parfaire leur éducation. Elles fréquentent ensuite un pensionnat à Bruxelles situé dans l’Hôtel de Marnix, et tenu par d’anciennes familles françaises ruinées par la Révolution.

Le Château de la Pasture, de Zoé Louise Drion, à Marbaix-la-Tour. Détail carte postale ancienne, Edition Préaux

En avril 1831, elle rencontre lors d’un dîner à Marchienne-au-Pont Louis Troye, juge de Paix à Thuin, né à Charleroi le 30 mars 1804. Ils se marient le 23 novembre 1831, et s’établissent à Thuin, ville où réside la belle-famille de Zoé.

Louis Troye devient député de l’arrondissement de Thuin en 1834. Vers 1840, ils déménagent avec leurs deux filles Alix et Mathilde à Bruxelles, Louis étant nommé député du Canton de Thuin. Louis Troye quitte le Parlement en 1849, après avoir été réélu 5 fois consécutives. Le 13 avril 1849, il est nommé Gouverneur de la Province de Hainaut, poste qu’il occupera jusqu’au 7 juillet 1870. Ils déménagent à cette époque à Mons, où Louis exerce ses fonctions.

En 1862, Louis hérite du Château de la Pasture à Marbaix-la-Tour. L’année suivante, Zoé et Louis transforment la demeure. La bâtisse aux allures de ferme devient un véritable château de style français, au cœur d’un parc de douze hectares ; ils s’y établissent par la suite.

Louis Troye décède à La Pasture le 29 octobre 1875 des suites d’une longue maladie. Zoé Louise Drion y décède également le 9 février 1888.

Zoé Louise Drion est l’arrière-grand-mère maternelle de Marguerite Yourcenar, ainsi que la tante de l'écrivain Octave Pirmez.

Zoé Pauline Drion (1826 - 1898), épouse Louis Flament

Zoé Pauline Drion est née à Charleroi le 6 janvier 1826. Elle est la fille de François Drion et de Agnès Binard, fille du médecin carolorégien Henry Louis Binard.

Rentière, elle épouse à Charleroi Louis Joseph Flament le 29 décembre 1869. Ils s’établissent dans un « château » rue de Lodelinsart à Montignies-sur-Sambre (Neuville) ; leur demeure se situait à l’emplacement de l’actuelle Ecole-Clinique provinciale.

Photographie de Zoé Pauline Drion (avec l'aimable autorisation de la collection P. Binard)

Originaire de Tournai, né le 18 novembre 1834, Louis Flament est diplômé en droit en 1859 et vient se fixer à Charleroi, où il entre dans une étude importante. Il est rapidement remarqué, et en prend la charge. Il devient par la suite juge suppléant au tribunal de première instance de Charleroi. A la fin de sa carrière, Louis Flament s'occupe principalement d’affaires industrielles et est le conseil de diverses sociétés importantes ; il a d’ailleurs des intérêts dans plusieurs d'entre-elles, notamment la Société des Verreries de Gosselies. Louis Flament décède le 30 mai 1880 à Montignies-sur-Sambre.

Veuve, sans descendance en vie et sans plus aucune réelle famille, vivant écartée de ses parents les plus proches éloignés au cinquième degré, et estimant que ses héritiers légaux ne sont pas dans le besoin, Zoé Pauline Drion décide de léguer après sa mort l’ensemble de ses biens aux pauvres de Charleroi.

A cette fin, elle rédige de nombreux testaments et y précise ses dernières volontés. Elle institue comme légataire universel le Bureau de bienfaisance de Charleroi, avec charge pour lui de distribuer quelques legs particuliers. Elle souhaite fonder des lits à l’hôpital, qui seraient nommés lit Drion, lit Castelain, lit Sylvie Drion, lit Zoé Drion, lit Maria Drion, et lit Célina Drion. Si l’un de ses proches se retrouvait un jour dans une situation d’infortune ou de détresse et avait besoin de recourir à la bienfaisance, ces lits seraient à disposition avant tout autre.

Elle institue une rente annuelle et viagère de 50 centimes par jour, à verser par le Bureau de bienfaisance, au profit d’une domestique chargée de l’entretien de son chien, Duck, tant que celui-ci vivra ; c’est la cuisinière qui recevra ce legs. Elle charge également le Bureau de bienfaisance, si cela n’est encore fait, du déplacement de la sépulture de ses parents dans le nouveau cimetière de Charleroi-Nord.

Le Château Flament-Drion à Montignies-sur-Sambre. Détail carte postale ancienne, Edition Wilmet-Pâques

Dans un codicille, témoignant de la mésentente qui règne dans la famille, elle demande de veiller à ce que ses proches ne puisse pénétrer dans sa maison après son décès : « Il est expressément défendu après ma mort de laisser entrer chez moi le sieur Ferdinand Andris Drion, ni ses enfants, ni beaux-enfants, ni petits-enfants, enfin aucune personne qui pourrait être envoyée par lui ». Ferdinand, docteur en médecine et bourgmestre de Montignies-sur-Sambre, était l’époux de Adélaïde Drion, cousine de Zoé.

Zoé Pauline Drion s’éteint le 7 novembre 1898. Elle est inhumée dans le cimetière de Charleroi-Nord, à côté de la sépulture de ses parents.

Ses dernières volontés sont révélées à travers ses multiples testaments ; le dernier remonte à un an avant sa mort, et est daté du 3 septembre 1897. Dix-huit testaments ont été retrouvés chez la défunte, dont les premiers avaient déjà plus de vingt ans.

Une première estimation effectuée quelques jours après son décès laisse à penser que déduction faite des legs, la part revenant aux pauvres de Charleroi devrait s’élever à environ un million de francs. On parle cependant rapidement d’une somme moins élevée, mais dépassant néanmoins le demi-million. A l’époque, Charleroi subsidiait annuellement le Bureau de bienfaisance pour 39.000 francs, c’est-à-dire plus des deux tiers de ses dépenses…

Affiche de la vente publique par Me Bodson le 26/06/1902 des immeubles de Zoé Pauline Drion, dont le château Flament, sis chemin de Lodelinsart à Montignies-sur-Sambre (avec l'aimable autorisation de la collection P. Binard)

Deux acteurs se manifestent alors afin de réclamer la succession : l’Administration des hospices, estimant que la défunte souhaitait donner sa fortune, non pas au Bureau de bienfaisance, mais bien à l’hôpital, afin d’y fonder des lits. Se manifeste également le Bureau de bienfaisance, demandant l’autorisation d’accepter le legs Drion. Il estime être désigné comme légataire universel, et que l’excédent de la succession, après fondation des lits, doit entrer en sa possession. Mais ils ne sont pas les seuls : certains héritiers de Zoé Pauline Drion contestent ses dernières volontés, et demandent d’entrer en ligne de compte pour la succession. Après enquête, il est confirmé qu’aucun d’eux n’est dans le besoin, mais ils persistent néanmoins à réclamer leur part de l’héritage.

A plusieurs reprises, des réclamations concernant le legs sont formulées par les parents de la testatrice, à savoir par 1° Sylvain Drion, 2° Victor Drion, 3° Nicolas-Joseph Drion, 4° Thérèse Rucloux, 5° Alphonse et Albert Binard, 6° Marie Andris épouse Sénéchal, 7° Elisa Drion veuve Camille Brixhe, 8° Hyacinthe Drion épouse Nestion Dupont, 9° Ernest Drion, Victorine Drion veuve Côme Manus, Amélie Cools et Joseph Drion.

Chacune des deux administrations charitables interprétant à son profit les termes des testaments et devant les multiples réclamations des héritiers, le gouvernement est amené à trancher pour régler la succession.

La fortune de Zoé Pauline Drion se composait alors de biens meubles pour une valeur de 405.000 francs, et d’immeubles évalués à 200.000 francs, consistant en maisons, jardins, terres, prés et bois situés à Montignies-sur-Sambre, Mont-sur-Marchienne, Cour-sur-Heure et Vogenée. Ses meubles et sa cave à vins sont liquidés dans une vente aux enchères organisée par le notaire Bodson qui se déroule dans son château, les 28, 29 et 30 novembre 1899. Le même notaire procède à la vente publique de son château et ses terres le 26 juin 1902.

Malgré les souhaits de Zoé Pauline Drion, exprimés pourtant à maintes reprises, un arrêté daté du 3 octobre 1899 réduit de moitié le legs destiné aux œuvres, octroyant l’autre moitié à la famille. Il écarte également certains héritiers de la succession (à savoir Sylvain Drion, Victor Drion, Nicolas-Joseph Drion, Hyacinthe Drion, Ernest Drion, Victorine Drion, Amélie Cools et Joseph Drion), d'autres parents de ces plaignants étant plus proches en degré de la défunte.

Sépulture de Zoé Pauline Drion au cimetière de Charleroi-Nord

Peu de temps après cependant, une nouvelle action est intentée par les héritiers afin de tenter d’écarter également de la succession Marie Andris, épouse Sénéchal, la famille Andris étant expressément citée dans les testaments comme étant défendue d’accès à la demeure de Zoé après sa mort.

L’arrêté du 3 octobre 1899 désigne enfin l’Administration des hospices pour recueillir le legs, à savoir 300.000 francs, Zoé Pauline Drion citant explicitement dans ses volontés la fondation de lits à l’hôpital. Le Bureau de bienfaisance est finalement totalement écarté.

Les journaux régionaux ont largement suivi et commenté les multiples rebondissements et la décision finale concernant ce legs. Le 28 octobre 1902, les autorités communales de Charleroi donnèrent le nom de Zoé Drion au boulevard Pierre Mayence prolongé en hommage à cette concitoyenne charitable que fut Zoé Pauline Drion.



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